Вернуться к Чеховиана: Чехов и Франция

Жорж Баню, Антуан Витез, Жак Лассаль, Леонид Хейфец, Станислав Любшин, Анатолий Смелянский, Владимир Лакшин

George Banu. Nous remercions particulièrement Antoine Vitez d'être venu car ce soir précisément a lieu la première de «Galilée». Voici ma première question: En France et dans d'autres pays, vers la fin des années 60—70, Brecht a été remplacé par Tchékhov, quand Brecht s'est retiré, Tchékhov est apparu. Est-ce que d'après toi l'attrait pour Tchékhov est lié à une mutation dans le rapport à l'histoire et au monde de la société française des années 70?

Antoine Vitez. Je n'ai pas réfléchi du tout là-dessus. Извините, я не буду говорить по-русски, я так устал, так устал. La question est difficile. Je vais tenter d'y répondre sincèrement. A vrai dire, je me méfie de la question même: elle tend avec acharnement à avoir un point de vue historique sur toutes choses; les choses sont moins intéressantes que cela en réalité. Il se trouve que l'énorme vague de Brecht des années 60 s'est un peu usée, par elle-même et aussi pour des raisons politiques, idéologiques, historiques faciles à comprendre. Il y a eu un dégoût, un rejet même de Brecht, mais je ne pense pas que Tchékhov ait remplacé Brecht dans la pratique théâtrale (on ne parle pas, bien sûr, de remplacement réel...). Ce serait plutôt Claudel: j'ai eu l'impression qu'il y avait chez les apprentis comédiens un engoûment pour Claudel qui s'est substitué à l'engoûment pour Brecht. Pour Tchékhov j'ai toujours connu cela. Le véritable retour à Tchékhov est venu avec les mises en scène de Sacha Pitoëff dans les années 50 et depuis ce temps là il n'y a plus eu d'interruption, c'est chez les jeunes acteurs un mouvement sentimental perpétuel, je veux dire par là une recherche éperdue des beaux rôles, du sentiment, du plaisir de la souffrance, de la délectation morose. (Comment traduire en russe? Pas «самобичевание» car il y a «délectation», donc extrême plaisir). Combien de jeunes femmes se sont tournées vers moi (et c'est la pratique de tous les professeurs d'art dramatique) avec ce désir très tchékhovien d'interpréter Macha (ce qui est tchékhovien, c'est précisément ce désir de représenter son propre malaise). Tchékhov a agi comme une sorte de révélateur des états d'âme. Ce théâtre de «настроение» depuis la révélation de Sacha Pitoëff, n'a jamais cessé, à vrai dire: il y a eu des périodes de crise par excès (trois mises en scène des «Trois Soeurs» en même temps), d'indigestion, mais c'est continu et je ne chercherais pas à poser la question du remplacement de Brecht par Tchékhov en termes idéologiques.

Georges Banu. Tchékhov ne correspond-il pas à un mal d'être, sans doute constant, mais qui se manifeste beaucoup plus à certaines périodes?

Antoine Vitez. Je m'excuse mais je répondrai de façon non-historique, non-historienne. Cette idée du mal d'être, ce plaisir du malaise, est le résultat d'un certain type d'interprétation, d'un mode de lecture de Tchékhov; il y a là une constante: énormément d'acteurs (plus que de metteurs en scène) ont cette image de Tchékhov. Puis il est arrivé, sous l'influence de Krejca, une deuxième interprétation, issue, elle, de Léon Chestov, «жестокий Чехов, жестокий и веселый Чехов»: on n'est pas triste, on se moque, au point qu'on en arrive à dépasser touttes les bornes: «La Mouette» devient un vaudeville, on traite «Les Trois Soeurs» comme s'il s'agissait du «Révizor». Cela n'a pas touché les acteurs (je parle de l'intérieur du théâtre, de la pédagogie du théâtre), les acteurs obstinément ne croient pas (je traduis, avec des guillemets) qu'«il faut rire» du malheur de Macha, de l'amour désespéré de Nina. Les acteurs n'y croient pas, et pourtant il y a une tendance de la mise en scène qui les force en quelque sorte — c'est comme renverser le cours d'une rivière, — qui force les acteurs à entrer dans des schémas de représentation issus de Krejca et de Chestov. Ceci est la description de ce qui se passe dans le milieu théâtral français, pour autant que je le connaisse.

Le public est comme les acteurs, il réagit avec beaucoup de difficulté à la représentation de Tchékhov comme cruel et gai. Le public n'aime pas cette interprétation, il la considère comme une provocation et comme une insulte. Cette idée de la bonté de Tchékhov est tout à fait fondamentale. Moi je n'ai pas la sensation que Tchékhov soit un homme bon, mais c'est très difficile à soutenir car les artistes et le public sont comme amoureux de Tchékhov. Si on dit que cet homme avait un coeur de pierre, on est insulté parfois par certains acteurs comme s'il était quelqu'un de leur famille ou comme s'ils avaient une relation amoureuse avec lui. Je pense que le public est plutôt de ce côté-là. Peut-être qu'il faut cesser de s'interroger sur la bonté ou la méchanceté de Tchékhov, mais dès que par paradoxe ou pour jouer jusqu'au bout le jeu du «жестокий Чехов», on va jusqu'au bout, on dit: «non, il n'est pas bon, il est méchant, voyez comme il s'amuse de la misère du monde», on déplait, et d'ailleurs c'est extrêmement difficile de faire jouer les acteurs dans ce sens, ils résistent profondément. A tout prendre, cette résistance signifie peut-être quelque chose, ils ne faut pas considérer les autres comme des imbéciles, c'est peut-être eux qui ont raison.

Question (du public) sur l'interprétation du personnage de Lopakhine.

Antoine Vitez. 1) Personnellement je ne jouerais pas Lopakhine. 2) Je ne suis pas d'accord avec la question: la mise en scène est un art relatif, je n'ai pas une conception absolue de la représentation de Lopakhine (de même que je n'ai de conception absolue de la représentation d'Hamlet par exemple). C'est important puisque la question contient une idéologie de la mise en scène, elle contient l'idée que les acteurs doivent entrer à l'intérieur du dessin, remplir comme une couleur l'intérieur de ce dessin. Je n'ai pas une conception absolue de chaque rôle. Quand on met en scène une oeuvre, il faut réfléchir à la totalité de l'oeuvre et aux rapports réciproques entre les personnes. De la même manière c'est en travaillant avec tel ou tel acteur qu'on apprend quelque chose sur le personnage.

Georges Banu. A propos du fameux échange de lettres entre Tchékhov et Stanislavski, quand Tchékhov demande à Stanislavski de jouer ses pièces comme des comédies, tu as dit que Tchékhov n'avait peut-être pas compris le caractère véritablement novateur de la mise en scène de Stanislavski, que Tchékhov, si novateur par l'écriture, restait encore prisonnier d'un certain modèle de la mise en scène française. Est-ce que tu peux expliciter cela?

Antoine Vitez. Oui, mais ce que je vous dirai n'a rien de scientifique, c'est que je peux ressentir à partir de ma propre expérience. On a beaucoup réfléchi sur ces textes où Tchékhov s'est plaint de la mise en scène de Stanislavski en disant qu'on doit représenter ses pièces «comme des comédies...» Je ne suis pas sûr qu'on doit le prendre au sérieux, peut-être y a-t-il une sorte de perversité, de méchanceté vis-à-vis de Stanislavski à qui il doit la première représentation correcte de son oeuvre. Il y a là une perversité, une malice, évidemment la décision d'avoir un point de vue en quelque sorte latéral par rapport à ce que fait Stanislavski: il suffit qu'on lui montre un objet pour qu'il le contourne, qu'il le détourne, qu'il le regarde de façon malicieuse. Je ne suis pas certain qu'on doit prendre pour parole d'Evangile ces lettres de Tchékhov, je pense que c'est peut-être une provocation simplement, une provocation intellectuelle, qui d'ailleurs est assez féconde. Je peux facilement la ressentir comme une provocation et non pas fonder là-dessus un système de mise en scène. Je crois au contraire profondément que ce sont les écrivains qui transforment la mise en scène du théâtre, ce ne sont pas les metteurs en scène, contrairement à ce que croient les metteurs en scène eux-mêmes et à ce que Ton croit que les metteurs en scène croient. Ce sont les écrivains parce qu'ils posent à la communauté théâtrale (acteurs et metteurs en scène réunis, car enfin qu'est-ce qu'un metteur en scène? C'est en réalité un acteur, un acteur qui va dans la salle pour regarder ses camarades, rien de plus), parce que les écrivains, donc, posent à la communauté théâtrale des énigmes. L'écrivain pose des énigmes, je pense que toute oeuvre théâtrale est proprement un sphynx. Nous devons répondre, mais nous ne savons jamais comment répondre aux choses nouvelles, nous n'avons jamais la forme qui correspond à l'oeuvre nouvelle. Quand Claudel écrit tout seul, isolé, «L'Echange», «Le Partage de midi», ou même «Le Soulier de satin» (pour le «Soulier» il le dit explicitement), il n'y a aucune chance, pense-t-il, pour que l'oeuvre soit représentée parce qu'il n'imagine aucune forme de représentation de son oeuvre. Il écrit, il lance l'oeuvre dans la société, il nous la lance, et puis à nous de nous débrouiller.

Généralement la première série de représentations d'une oeuvre nouvelle est malhabile puisqu'elle ne sait pas traiter l'oeuvre nouvelle (c'est exactement comme les guerres: les généraux utilisent toujours le modèle militaire précédent, on perd la première guerre parce qu'on ne s'attendait pas au nouveau système). Je ne suis donc pas étonné que les toutes premières représentations des pièces de Tchékhov aient été des échecs. «La Mouette» (sans entrer dans le détail des circonstances: pièce à bénéfice etc...) a été un échec parce qu'on l'a jouée en ne sachant pas la lire, on l'a lue comme un oeuvre habituelle. Il a fallu qu'un homme de théâtre génial trouve une forme nouvelle pour représenter ce nouveau type de style, «d'écriture», comme on dit parfois.

Je pense donc que Stanislavski a donné les réponses correctes aux questions du Sphynx, non pas du Sphynx Tchékhov mais du Sphynx «La Mouette», «La Cerisaie» etc... Naturellement, le Sphynx lui-même, c'est-à-dire Tchékhov, peut s'amuser à dire: «Mais ce n'est pas cela qu'il fallait faire, il fallait jouer comme ça». Je me représente tellement cet homme-là, c'est-à-dire qu'il voit un homme, pour lequel il devrait avoir le maximum de reconnaissance, qui a enfin compris comment il fallait représenter son oeuvre, et il lui dit: «Ce n'est pas ça du tout, il faut représenter mes pièces comme des vaudevilles minables». Je vois ici un plaisir du paradoxe, une méchanceté, une malice qui d'ailleurs est féconde; cela fait travailler.

Rolf-Dieter Kluge pose une question sur l'accueil fait en France aux mises en scène de Stein, qui ont connu grand succès en Pologne et à Moscou. Ya-t-il un retor à Stanislavski par l'intermédiaire de Stein?

La discussion s'oriente sur la publication des notes de mise en scène de Stanislavski, connues en Allemagne, bientôt en Amérique, non traduites en France. Mais on observe qu'il n'existe pas encore de publication intégrale (en dépit de l'édition russe de Stanislavski en 6 volumes).

Georges Banu, se référant à l'exposé de G. Abensour, aborde la question des traductions de Tchékhov.

Gérard Abensour précise qu'on peut observer que les choix du traducteur sont parfois fonction de la mise en scène (par exemple souligner un certain «exotisme» de Tchékhov).

Antoine Vitez. J'ai un point de vue extrêmement étroit et dogmatique.

Pour moi la traduction est un travail littéraire d'abord, qui a la même fonction, secondaire évidemment, que le Sphynx lui-même. Il faut que le metteur en scène se débrouille avec le texte. Sincèrement j'essaie de ne pas penser à la facilité que j'aurais à le mettre en scène. Je ne fais pas de traduction pour un metteur en scène même si c'est moi le metteur en scène. J'ai traduit «Ivanov» il y a très longtemps, trente ans, parce que la traduction devait être publiée aux éditions Denoël. Je n'ai absolument pas pensé à telle ou telle représentation. Depuis que j'ai traduit «Ivanov» j'ai fait des progrès en russe, j'ai traduit mieux «La Mouette», assez exactement je crois (je ne pense pas avoir fait jamais de faute grave). J'ai cherché à suivre le mouvement de la phrase russe, l'ordre des mots de la phrase russe, ce qui est théoriquement strictement impossible. Ce petit effet d'«etrangement» est destiné à faire apparaître les idées au fur et à mesure qu'elles viennent, puisque les idées s'incarnent dans ce qu'on appelle des mots. Ma traduction d'«Ivanov» est beaucoup plus transparente, prosaïque. Ce que je me suis toujours gardé de faire, c'est de croire ce que croient les gens qui traduisent Tchékhov sans connaître le russe, de croire qu'il s'agit d'un texte vulgaire, et qu'il faudrait rendre la vulgarité qu'ils croient voir dans le texte par une vulgarité en français.

Les choses se passent d'ordinaire de la manière suivante: quelqu'un dont la grand'mère a habité les pays baltes ou la Moldavie décide de faire une traduction de manière à percevoir des droits de chaque représentation. Alors on fait des découvertes sublimes du genre: «Je vais sortir» en russe c'est naturel, en français on dira: «Je mets les bouts», cela donne une sensation de vérité mais c'est une vérité fausse. Si on lit Tchékhov avec le sens des niveaux de langage, on s'aperçoit que le texte est caractérisé par le souci de représenter la vulgarité (ce qu'on appelle la vulgarité, car la plus grande école de Tchékhov consiste, avec une véritable bonté d'âme celle-là, à ne jamais se moquer de la vulgarité, de ce que les gens appellent la vulgarité) mais de la représenter de façon pudique et par une sorte de sous-traduction, de traduction en russe, en l'occurence, ou en français, de transposition de cette vulgarité en contournant les signes, les pancartes langagières qui désigneraient directement ce qu'on appelle la vulgarité. C'est là la grande difficulté pour la traduction car cela amène à une traduction trop transparente comme l'était ma traduction d'«Ivanov», presque trop facile, un peu incolore, parce qu'on traduit un texte qui n'a l'air de rien par un texte qui n'a l'air de rien. Evidemment c'est plus difficile, non-vulgaire, Tchékhov contourne toutes les indications trop colorées, trop anecdotiques sur les personnages. Voilà ce que je pense comme traducteur (comme tout à l'heure je donnais mon témoignage d'acteur et de pédagogue). Mais je ne parle que de moi-même.

Geopges Banu. Vous connaissez tous le parcours de Jacques Lassalle. Il a fondé en 1967 le Studio Théâtre de Vitry, en 1981 a été nommé professeur au Conservatoire national d'art dramatique de Paris. Dans le domaine russe, il a monté en 1983 à la Comédie Française «Les Estivants» de Gorki avant d'être nommé directeur du Théâtre national de Strasbourg. On a le sentiment que Jacques Lassalle, metteur en scène du théâtre du quotidien, pourrait être un metteur en scène tchékhovien. Or il n'a jamais monté Tchékhov. Il y a une attente, qui fait penser à Meyerhold proposant sa propre épitaphe: «Ci-git Meyerhold, qui n'a jamais monté «Hamlet»».

Jacques Lassalle. C'est sans doute de l'inconscience d'avoir accepté de participer à un colloque sur Tchékhov sans avoir monté Tchékhov. Cela dit, je crois que le plus important dans la vie ce sont les actes manqués, différés, parce que ce qu'on diffère, on sait bien que c'est essentiel, que c'est là qu'on s'attend soi-même. C'est vrai, je n'ai jamais monté Tchékhov et pourtant chaque fois que je monte un auteur, je pense à Tchékhov. Mais quand des amis me disent: «Tu devrais monter Tchékhov», qu'est-ce que cela signifie? A quoi pensent-ils, dans l'oeuvre, chez celui qu'ils ont trouvé s'accorder à l'oeuvre? Est-ce à ce goût du moindre mot, à cette façon de dire le plus en montrant et en parlant le moins, est-ce que c'est à une certaine aptitude à la clémence, à cette espèce d'assentiment au réel, à cette espèce de tendresse? C'est vrai que, jeune homme et jeune spectateur, ce que je trouvais d'abord en Tchékhov, moi aussi, c'était la bonté, et je n'ai jamais été convaincu par Tchékhov lui-même lorsqu'il revendique le rire et même la dérision. Je ne suis pas tout à fait convaincu quand Antoine parle de la méchanceté de Tchékhov. Je pense qu'il faut se garder de l'un et de l'autre, Tchékhov a dit lui-même: «Ce qui importe dans le monde, c'est d'être indifférent.» Je pense surtout au médecin, à l'homme des dispensaires, à ce regard sans illusions qui n'a plus le temps de s'attendrir mais qui n'a pas non plus le goût de se moquer, qu'il porte sur l'humanité. Dans ce mélange d'optimisme scientiste, actuellement on n'a pas beaucoup de réponses, on ne sait que cela, mais un jour on guérira cette maladie-là, on guérira ce mal social-là. Et en même temps le sentiment de cette impuissance ne doit pas se réfugier dans la velléité, la bonne conscience. Avec le peu qu'on sait, le peu qu'on peut, agissons! C'est pourquoi j'ai pris un grand engagement: je ne quitterai pas Strasbourg sans avoir monté et je dirai même joué Tchékhov. Je finirai par «Vania» en mettant en scène, en jouant et en incarnant Vania (car je crois que le personnage ne préexiste jamais à l'acteur).

Je crois que j'exorciserai en «Vania» ce qui m'a touché si fort chez Tchékhov, c'est-à-dire que j'essaierai de me guérir de l'attendrissement que cause toujours l'échec quand il est intéressant. Je crois que ce que j'ai aimé chez Tchékhov, c'est un théâtre du «looser», un théâtre des perdants. Il faut se guérir de cette approche-là. J'essaierai de monter Tchékhov sans penser que Treplev est un grand destin de poète perdu, sans penser que Nina est une grande actrice sacrifiée.

Круглый стол (продолжение)

Станислав Любшин. Рядом со мной сидит Леонид Хейфец. Этот режиссер трижды ставил «Вишневый сад». У меня к нему вопрос: почему он трижды брался за одну и ту же пьесу?

Леонид Хейфец. В самом деле, так вышло, что за 11 лет, с 1975 по 1986 г., я трижды обращался к Чехову, к одной и той же пьесе «Вишневый сад». Я думаю, что это не единственный случай в режиссерской практике. Покойный А. Эфрос дважды ставил «Три сестры», и, мне кажется, многие режиссеры именно к Антону Павловичу Чехову — может быть, единственному из драматургов — обращаются не однажды. Почему это так? Приведу сравнение, может быть, слишком далекое, но у меня оно достаточно точное.

У меня был сосед, он был учителем истории и увлекался альпинизмом. После каждого восхождения он возвращался очень часто истерзанным, иногда ему приходилось ложиться в больницу. Я помню, что за какие-то годы дважды погибали люди, с которыми он шел в горы. И я как-то спросил его: «Почему ты туда лезешь? Ты же потом болеешь, на тебе живого места нет, ребра переломаны и так далее?» Он говорит: «Тянет». Каждый раз он говорит себе, что больше туда не пойдет, но что-то с ним происходит такое, что его тянет. Тянет к гибели. Человека тянет к гибели. Может быть, гибель — это оборотная сторона жизни. Тянет в бездну. Знаете это чувство, когда хочется заглянуть в страшное. Стоишь на краю и обязательно хочется туда заглянуть.

Меня тянет в «Вишневый сад». Как в омут. Тянет постоянно, потому что, трижды ставя этот спектакль, я совершенно не ощущаю дна. Бездна. Бездна опасная и бездна, дающая огромное наслаждение. Для меня «Вишневый сад» — смесь ужаса и наслаждения.

Каждый человек это переживает по-своему. Для меня огромное значение имеет то, что это последняя пьеса. Что такое последнее стихотворение? Что такое последние слова? Мы вслушиваемся в эти слова, они бывают самые разные, но почему-то мы им придаем огромное значение. Последняя пьеса Чехова, его прощание. Он знал, что он умрет. Очень рано узнал. Ему, правда, казалось, что проживет чуть дольше, он не знал, что умрет именно в 1904 г., на 44 году жизни. Но все-таки это его последняя пьеса, какое-то прощание с нами. И еще мне кажется — это пьеса-предчувствие. Я, наверное, не говорю ничего нового, но эти удары топора — это он предупреждает XX век. И лопнувшая струна, по поводу которой очень много сказано и написано слов, — это предупреждение. Звук, от которого должно было бы содрогнуться человечество, но этого не произошло. И очень много было гибели в XX в. Такое у меня ощущение, и вот почему я лезу туда. Недавно, четыре года назад, я поставил спектакль «Вишневый сад». И конечно, абсолютно готов к тому, чтобы снова его ставить.

Поскольку разговор связан с Францией, может быть, французам будет интересен такой нюанс, связанный с пониманием режиссера из России. Я коснусь вопроса, который всегда труден для режиссера (А. Виттез говорил об этом): «Вишневый сад» — комедия? Мучают нас этим проклятым письмом, где Чехов говорит, что это комедия. Есть ответ на это, достаточно точный. Но я вам расскажу о другой динамике.

1975 год. Чем я был моложе, тем пьеса была для меня трагичнее, тяжелее. Чем я становлюсь старше, тем она становится для меня не мельче, но легче. Я все больше и больше понимаю... Раневскую в 1974/75 г., когда я делал спектакль на телевидении, я заставлял дико рыдать. Я сам рыдал. Увидев детскую, я плакал вместе с ней. Это был взгляд режиссера средних лет. Я плакал. Встреча с детской была невыносима для меня. А вот проходят годы — и что интересно — дом Раневской для меня все больше и больше ветшает. Дом Раневской становится старше. Дом Раневской становится для меня с годами беднее. Он становится как Россия, наша бедная, огромная, великая страна, которую все жальче и жальче. Раневская все больше и больше отстраняется от детской. Вначале она, по-моему, теряла рассудок от встречи с детской, и слезы начинали ее душить. А сейчас тоже есть слезы, но она смотрит все же на детскую после Парижа. И эта детская выглядит немножечко другой. Не знаю, поймут ли французы, русские обязаны понять — по поводу этого она плачет, но... Но это совершенно другие слезы. Она отдалена. Даже могила Гриши, которая в 1975 г. (в моем понимании) заполняла в период приезда все ее существование, — и могила Гриши совсем другая. И Гриша, кажется, не тот. Вот такая динамика моего видения «Вишневого сада». Это спорно, может быть, у каждого режиссера она своя, но она во мне существует.

Если я буду еще раз ставить «Вишневый сад», я поставлю не просто комедию... Тут не вопрос смешного, и даже вопрос не то чтобы легкости. Праздник все больше и больше для меня становится необходимым.

Когда я ставил в 1975 г. — какой уж там праздник? И могила Гриши, и дом, который она давно не видела, и Варя, которая постарела, хотя она говорит, что она осталась той же, и Фирс, который еле живет на этом свете, — все это меня трагически заполняло. А сейчас, если я буду ставить «Вишневый сад», я скажу, что все-таки надо устроить потрясающий праздник. Потому что это весна, потому что ее приезд и потому что это просто как детство. И очень трудно этого добиться, тут я согласен с господином Виттезом: они, артисты, не хотят праздновать, надо их заставить праздновать приезд Раневской. Точно так же, допустим, в «Трех сестрах» очень трудно заставить артистов праздновать день рождения Ирины. Просто невозможно. Ведь сегодня день рождения Ирины, 5 мая, как бы там ни было, она в белом платье, и музыка — развеселись... Не хотят, это в самом деле так, не откликаются на праздник. Актерское сердце в меньшей степени откликается на праздники.

Есть и такое объяснение. Мои учителя, которым мы задавали те же вопросы: комедия или нет? — говорили (и это очень близко к истине, насколько я знаю драматургов): Станиславский тоже хотел все оплакать по-настоящему. Он все-таки был молодой, и ему хотелось плакать, как это ни странно. А Чехов? Драматурги, когда они видят грустное, очень часто так говорят: да это же все смешно, это же все комедия! Это вовсе не означает, что это комедия. Вот высокоуважаемый режиссер А. Ханушкевич поставил в чистом виде комедию «Три сестры». Об этом очень много говорили и писали, и он говорил: «А вот взял и поставил комедию». Меня лично это просто оскорбляло.

Вот такой приблизительно ответ на вопрос уважаемого, одного из самых редких чеховских актеров в России — Станислава Любшина. А мне самому очень интересно узнать, что для Любшина Чехов?

Станислав Любшин. Попытаюсь сейчас ответить на ваш вопрос.

Я видел спектакль, который решил мою судьбу. Я видел когда-то, в 1949 г., спектакль «Три сестры». Я был поражен. Я учился в кислородно-сварочном техникуме, на спектакль попал случайно. И вот тогда Степанова (она играла Ирину), стоя спиной к залу, сказала: «В Москву!» — во мне произошло что-то такое, что я бросил все и пошел поступать в театральное училище.

Но потом я видел, как погибал этот спектакль. Я долго не понимал: почему? Те же замечательные артисты, тот же текст, тот же спектакль, а становится спектакль мертвым. Режиссер, вы справедливо говорите, погружает свое содержание в автора, и тогда он расшифровывает Антона Павловича. Это взгляд режиссера. Есть один момент в спектаклях, которые были поставлены в нашей стране. Почему они получались? Потому что была тоска, трагедия, боль по ушедшему. У нас была уничтожена вся интеллигенция, у нас было все разрушено — культура, церкви, духовная музыка, просто музыка. И вот эти два великих человека, которые возглавляли МХАТ, через Чехова сумели говорить о том, что было. Вот это производило впечатление на наш трагический народ в этой страшной трагической жизни.

Самое интересное — Немирович нашел способ существования на сцене. Это была удивительная жизнь: интеллигентные, красивые люди. Каждый характер объемен, как в музыке Бетховена, Чайковского, Моцарта. Движение жизни происходило на каком-то таком высоком внутреннем подъеме, что ты как бы заканчивал слушать симфонию. Что еще многих поражало, и лично меня, — это была жизнь: никакой режиссерской конструкции, никакой внешней конструкции, никакого актерского нажима. И этот способ вдруг стал пропадать. Тот способ, который они открыли и нашли, чем славился всегда МХАТ, вдруг все это стало уходить.

Кончилось вообще печально. Когда уже железный занавес открыли, многие режиссеры стали ездить на Запад, и с Запада привозили свои спектакли, и многие увидели, что театр может быть и другим. И тут пришел страшный момент внешней подражательности западной культуре. Стало уходить подлинное содержание, чем и был интересен русский театр. И вот все вместе привело к трагическому концу.

Нельзя сохранить мемориальность Чехова, нельзя сохранить этот способ существования. Жизнь другая, ритмы, люди другие. Если это было внутри людей, внутри художников, это надо было так трепетно сохранять и, может быть, развивать как-то. Теперь у нас ничего не осталось. Когда я смотрю наши чеховские спектакли — если бы я не видел, что тогда было, может быть, я бы тоже думал: какие интересные спектакли, профессиональные... А сейчас почему-то больше западные режиссеры, западные спектакли показывают нам Чехова — фрагментами. Вот Питер Штайн привозит «Три сестры», вот Питер Брук показал «Вишневый сад» — у него тоже там были потрясающие кусочки. А у нас это, к сожалению, все ушло.

Может быть, пройдет время, может быть, что-то у нас изменится к лучшему, будут новые поколения, и культура вернется, общечеловеческая и даже наша русская, — может быть, тогда у нас опять появится Антон Павлович Чехов.

Анатолий Смелянский. Мне кажется, что сейчас мы начинаем какой-то новый период освоения Чехова в театре. Это связано, конечно, со сдвигом в общей атмосфере жизни, но прежде всего открыт свободный доступ к Чехову. Помимо всех прочих свобод, открыт еще и свободный подход режиссера, актера просто к Чехову.

На протяжении десятилетий мы были закованы в очень жесткие рамки подхода к Чехову. А. Эфрос в 1966 г. писал, что советскому актеру очень трудно играть Чехова, потому что на него наставлено дуло критического пистолета. Говорят, например: «Вот ты будешь играть эту роль», — но при этом говорится столько угрожающих слов... Например: «Если ты плохо сыграешь...» Чеховскую роль давали примерно как бриллиантовый глобус, предупреждая, что если он разобьет его, то не расплатится за всю жизнь. Ну как тут артисту играть? Нужна некоторая свобода. Я не говорю, что нужна наглость и, так сказать, неглиже с отвагой, но все-таки свобода нужна. И сегодня у нас эта свобода есть.

Если бы вы посмотрели последние, так сказать авангардные, советские спектакли по Чехову — это довольно поразительное зрелище. Скажем, спектакль, поставленный режиссером Ю. Погребничко в студии на Красной Пресне. Это ученик и соратник Ю. Любимова, режиссер, который делал вместе с ним «Три сестры», но, недоделав, уехал в Казань, а Любимов доводил этот спектакль. Погребничко поставил «Чайку». Спектакль, правда, называется не «Чайка» (это тоже нынешняя советская свобода), а «Почему застрелился Константин?» (смех). Раньше бы нельзя было взять и переиначить заглавие, года два могли за это дать. А теперь — «Почему застрелился Константин?»

Какой там принцип? В чем авангардность спектакля? Что такое авангард? Вообще говоря, это пустое слово. Авангард — это искусство, которое испытывает некоторые новые средства воздействия. Что испытывает Погребничко? Он испытывает на разрыв ткань чеховской фразы. Почти каждая фраза разломана. В середине фразы ставится точка. Получается очень много эффектов. Неожиданных. Общая тема этого спектакля — взаимоотношения этакого дворового современного авангардного театра и театра классического. Представитель этого дворового театра — Треплев, а представитель этого классическо-академического театра — Аркадина. Они пригласили известную советскую актрису, актрису МХАТа, играть в этом дворовом спектакле. Аркадина несет с собой мировоззрение императорской сцены, а Треплев и вся команда — это театр из подворотни, который Чехова по-своему понимает и разыгрывает.

Фразу они рвут все время. Я смотрел этот спектакль с нашим комедийным артистом Хазановым. Он в антракте очень хорошо откомментировал этот способ авангардного прочтения Чехова. Он говорит, ты знаешь, это вообще очень хороший способ разрывать фразу посередине, тут богатые возможности. Я так хочу читать Зощенко. У Зощенко есть рассказ о Ленине. Он, Зощенко, писал одно время сентиментальные рассказы о Ленине. Детский рассказ о том, как Ленину принесли в голодный год после революции рыбу и Ленин сказал, ну зачем же это мне, отдайте детям. Хазанов говорит, что надо это читать так (по методу авангардного прочтения Чехова): Ленину принесли рыбу. Владимир Ильич взял эту рыбу. Дальше Хазанов показывает жестом (нюхает брезгливо): отдайте детям (смех). Это примерно такой способ прочтения Чехова.

Я и этого не отрицаю. Я не отрицаю никакой возможности прочтения. Потому что от всего что-то остается. Когда в кабаре стали в пародийном плане читать текст вместе с ремарками автора это казалось смехотворно и глупо. А из этого потом вырос весь театр прозы, когда герой вместе с ремарками произносит текст. Мы никогда не знаем, что из чего произрастает, каковы воздушные пути культуры.

Сегодня, именно сейчас происходит — началось это, может быть, с любимовского спектакля «Три сестры», возмутившего многих наших чеховедов и вообще разделившего их на два клана, — вот это свободное обсуждение чеховского драматургического наследия вместе с переоснасткой всего нашего театрального хозяйства. Совершенно неизвестно, в какие формы это выльется. Это происходит. Я пока не берусь делать широковещательных заключений.

Владимир Лакшин. Я взял слово только потому, что я решительно не согласен с тем, что говорил Смелянский (смех), и потому хотел бы представить на ваше обсуждение еще одну точку зрения. Конечно, он прав в том, что всякий имеет полное право на свое прочтение Чехова, как теперь говорят. И даже вершиной либерализма и свободного отношения к делу кажется дать каждому художнику возможность делать с текстом и смыслом другого художника то, что он хочет. Есть такая точка зрения: можно сделать все. И действительно, можно сделать абсолютно все.

Но я больше сторонник старомодной точки зрения Любшина (может быть, по созвучию наших фамилий). Даже не точки зрения, а впечатления скорее. Должен заявить себя решительным ретроградом в духе того героя рассказа Чехова «Архиерей», который все время говорит по разному поводу: «не ндравится мне, не ндравится». Я хожу на Чехова, я вижу много новых спектаклей по Чехову, в том числе хваленых, модерных спектаклей. Например, Некрошюса, Погребничко и других, и я все время думаю: Боже мой, это триста тысяч верст от Чехова по уровню понимания! Дело в том, что, помимо всех других обязательств — перед зрителем, перед публикой, существует, и в этом я глубоко убежден, обязательство перед автором.

Можно с каждой вещью обойтись по-разному. Приятельница Горького, художница Валентина Михайловна Ходасевич, рассказывала мне, что Алексей Максимович, в котором был элемент такого разрушительного азарта, брал тонкие венецианские бокалы, которые стояли у него в буфете, и жег их огнем, делал разные изгибы из этих бокалов. Ему доставляло наслаждение разрушение той формы, которая казалась классической, разумной и освященной веками. Я не боюсь показаться ретроградом. То, что говорил очень верно Л. Хейфец, применительно к своему возрастному состоянию, я думаю, что такое же возрастное состояние есть у общества, у человечества и у всех, т. е. соотнесение не только со временем режиссера, но со временем общества и человечества. В этом смысле есть действительная бездонность писателя, и мы должны отвечать не только перед публикой или перед своим желанием так или иначе его показать, но и перед этой бездонностью.

Кто насколько нырнет к Чехову? Кто если и не достанет до дна, то во всяком случае на какую глубину в Чехова погрузится? Мне кажется, что это самое интересное. И заметьте: ничто так не подкупает в конце концов. Люди внешне очень разнообразны и имеют очень общую основу, душевную, глубокую. Если пойти на какую-то глубину, мы все очень многое понимаем одинаково. Это относится к людям разных национальностей, состояний, возрастов и т. д. Мы просто, как правило, не достигаем этой глубины, мы находимся на поверхности национального, возрастного, социального и всех других измерений. Такие писатели, как Чехов, дают возможность пойти на эту глубину. Не надо радоваться, когда мы остаемся на поверхности и бултыхаемся на ней более или менее эффектно. Надо думать об этом, и, я думаю, тогда мы достигнем истинного успеха, как достиг его Немирович, не потому, что он там что-то воскресил или постарался от чего-то не отказаться, а потому что он нырнул на родственную Чехову духовную глубину.

Анатолий Смелянский. Я хочу вам ответить: все ныряют. Я ведь это как раз приветствую. Я говорил про другое: про то, что мы всегда недооценивали — из-за того, что не были свободны, — разных способов ныряния в Чехова. В частности, тот же спектакль Погребничко вызывает у многих глубоких людей самые серьезные театральные чувства. Я видел, как этот спектакль воспринимали в Бельгии, я читал огромную прессу. Поэтому я не могу, как Аркадина, сказать: это серой пахнет... Это серьезный парень, с какими-то устремлениями, пониманием. Я чуть-чуть карикатурно пересказал, и он показался бандитом. На самом деле это другое.